Réglementation : un levier de croissance pour le secteur cosmétique africain



En filigrane
Avec sa biodiversité exceptionnelle et un marché intérieur en pleine expansion, l’Afrique recèle d’immenses opportunités dans le secteur des cosmétiques, notamment naturels. Du Nigeria au Kenya, en passant par le Maroc, la Côte d’Ivoire ou le Cameroun, la demande croît sous l’effet de l’urbanisation, de la montée d’une classe moyenne et de la valorisation des ingrédients issus des ressources locales.
Pourtant, la prédominance du secteur informel et l’absence de cadres réglementaires harmonisés freinent encore la montée en gamme et l’exportation des marques locales. Dans ce contexte, la réglementation n’est pas un obstacle à la croissance. Elle constitue au contraire un levier stratégique de compétitivité, un outil de différenciation et un passeport vers les marchés régionaux et internationaux.
Les initiatives de normalisation portées par des institutions telles que l’Organisation africaine de normalisation (ARSO) et la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf / AfCFTA) ouvrent la voie à une intégration progressive des standards et certifications sur l’ensemble du continent.
En chiffres
- Le marché africain des cosmétiques est estimé à 3,87 milliards USD en 2024 et pourrait atteindre 7,02 milliards USD d’ici 2033 (Market Data Forecast, 2025).
- En Afrique subsaharienne, la croissance annuelle moyenne du secteur oscille entre 8 % et 10 %, soutenue par la demande croissante en produits naturels et la montée de marques locales (6Wresearch, 2025).
- Plusieurs pays ont mis en place des institutions pour encadrer la qualité et la sécurité des produits, à l’image de la NAFDAC (National Agency for Food and Drug Administration and Control) au Nigeria, de l’ANOR (Agence des Normes et de la Qualité) au Cameroun, du KEBS (Kenya Bureau of Standards) au Kenya ou encore la SAHPRA (South African Health Products Regulatory Authority) en Afrique du Sud.
Trop souvent perçue comme un fardeau administratif, la réglementation est en réalité un levier stratégique de croissance et de compétitivité, encore largement sous-estimé dans les économies africaines.
Dans un secteur cosmétique en pleine expansion, anticiper et comprendre les exigences réglementaires peut faire toute la différence pour bâtir des marques locales solides, assurer la sécurité des consommateurs, gagner leur confiance et accéder aux marchés régionaux et internationaux.
Un secteur en plein essor, freinée par les défis structurels

Le marché africain des cosmétiques, estimé donc à plus de 7,02 milliards USD d’ici 2033, attire un nombre croissant d’investisseurs, de marques locales et de multinationales.
Cependant, sa croissance reste entravée par plusieurs obstacles structurels, notamment la prédominance de l’informel, le morcellement des chaînes de production et de distribution, la faiblesse des infrastructures de contrôle de qualité et un cadre réglementaire encore hétérogène.
Dans la plupart des pays africains, une part importante des produits cosmétiques est encore commercialisée sans traçabilité ni certification, exposant les consommateurs à des risques sanitaires. La forte présence de l’informel fragilise également la qualité des produits, souvent mis sur le marché sans contrôle, au détriment de la santé publique.
Ce manque de cadre clair décourage de nombreux entrepreneurs ou entreprises, et limite la structuration de la filière, qui pine à valoriser pleinement les ressources et savoir-faire locaux.
Face à ces défis, la réglementation apparaît comme un facteur de crédibilité, de sécurité et de compétitivité. Tant que le secteur restera dépourvu de référentiels partagés et de normes appliquées, les marques africaines peineront à franchir le cap de l’industrialisation, à obtenir les certifications indispensables et à accéder aux marchés d’exportation.
La réglementation, un passeport stratégique
Loin d’être un frein, la réglementation constitue un véritable passeport stratégique. Elle représente un gage de qualité et de sécurité pour le consommateur, un outil de différenciation et un accélérateur d’accès aux marchés régionaux et internationaux. Une marque conforme aux standards reconnus, rassure, protège la santé du consommateur, sécurise la chaîne d’approvisionnement et ouvre de nouveaux débouchés commerciaux.
Cette exigence revêt également un enjeu sanitaire majeur. Dans plusieurs pays africains, le marché reste largement exposé à des produits éclaircissants ou blanchissants contenant des substances interdites telles que l’hydroquinone ou certains corticoïdes. Ces produits, souvent distribués sans contrôle via des circuits informels ou digitaux, présentent des risques dermatologiques et cancérigènes documentés par l’OMS et la Commission européenne.
Par ailleurs, la maîtrise des impacts environnementaux liés à la production, aux emballages et à la gestion des déchets est cruciale pour garantir une filière cosmétique durable et responsable. En adoptant des pratiques respectueuses de l’environnement, l’industrie africaine protège non seulement les écosystèmes, mais contribue également à la santé publique tout en renforçant sa compétitivité.
Structurer la filière par les normes locales et régionales
Plusieurs pays africains ont entamé une structuration progressive de leurs marchés. Au Cameroun, par exemple, le Programme d’évaluation de la conformité avant embarquement (PECAE) impose depuis 2021 un certificat de conformité (CoC) pour les produits importés, garantissant leur conformité aux standards nationaux. Les normes ANOR (NC 804 à NC 816) couvrent l’ensemble du cycle de vie du produit à savoir, la fabrication, la qualité, la sécurité, la conservation, l’étiquetage et la véracité des allégations publicitaires.
Dans d’autres pays comme le Kenya ou le Ghana, des initiatives similaires existent souvent inspirées des référentiels internationaux ISO ou CEN. L’appropriation de ces textes permet non seulement de professionnaliser les acteurs, mais aussi d’instaurer une culture partagée de la qualité à l’échelle régionale.
L’AfCFTA au service d’une harmonisation continentale

L’un des principaux défis du secteur reste la fragmentation réglementaire. Chaque pays applique ses propres normes, procédures et exigences documentaires; ce qui rend le commerce transfrontalier complexe et coûteux.
La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf / AfCFTA) représente une opportunité importante pour la compétitivité du secteur. En favorisant la suppression des barrières tarifaires et la reconnaissance mutuelle des certifications, elle pose les bases d’un marché cosmétique intégré.
L’Organisation africaine de normalisation (ARSO), via son Programme africain d’évaluation de la conformité (ACAP), renforce les infrastructures de qualité et facilite la reconnaissance mutuelle des normes entre États.
Dans la Communauté d’Afrique de l’Est, la norme DEAS 334:2023 harmonise déjà les réglementations relatives aux produits cosmétiques, facilitant le commerce intra-régional et garantissant un niveau de sécurité uniforme pour les consommateurs.
Ces avancées témoignent d’un mouvement continental vers la convergence réglementaire. À terme, une harmonisation progressive des standards pourrait renforcer la compétitivité africaine face aux marchés internationaux.
Former, accompagner, inciter
Pour que la réglementation devienne un moteur de croissance, il est essentiel de former les entreprises aux exigences réglementaires, tout en vulgarisant les normes locales et internationales via des plateformes numériques accessibles.
Des politiques incitatives tels que les allègements fiscaux pour les marques certifiées, des procédures douanières simplifiées pour les produits conformes ou des labels panafricains de qualité, pourraient accélérer l’adoption des bonnes pratiques.
La diaspora africaine peut également jouer un rôle clé, en partageant ses compétences et en accompagnant les entrepreneurs locaux dans leur développement.
De l’ambition à l’action
Lors du Mboa Paris 2025, premier salon business et socio-culturel de la diaspora camerounaise en Europe, ces enjeux ont été discutés au cours d’un atelier avec des professionnels du secteur : toxicologues, spécialistes affaires réglementaires, biologistes et entrepreneurs.
Ont été mis en lumière :
- Le rôle central de la réglementation pour l’accès aux marchés locaux et internationaux ;
- Les défis concrets liés à la certification et à l’exportation ;
- La nécessité d’accompagner les entrepreneurs dans ces démarches et le rôle clé de la diaspora dans ce processus.
Les participants ont exprimé des besoins clairs : un accompagnement renforcé, une meilleure lisibilité du cadre réglementaire et une structuration effective de la filière. Ces attentes traduisent une volonté forte de transformer la réglementation en moteur de croissance et d’innovation.
En conclusion, l'avenir du secteur cosmétique africain ne reposera pas uniquement sur la richesse de sa biodiversité. Il dépendra surtout de la capacité à structurer et harmoniser les cadres réglementaires au niveau régional et continental pour favoriser les libres échanges, professionnaliser les acteurs et protéger la santé des consommateurs.
La réglementation n’est pas un frein à l’innovation : sa mise en œuvre est une condition essentielle pour garantir la sécurité, la qualité et la compétitivité.
Malgré les défis, les entreprises qui placent la conformité, l’éthique et la transparence au cœur de leur stratégie peuvent transformer la réglementation en avantage concurrentiel durable. En respectant les standards locaux et internationaux, elles renforceront leur réputation, gagneront la confiance des consommateurs et contribueront à façonner la prochaine ère de la beauté africaine, où la conformité devient un moteur d’innovation et de croissance.
Références
Market Data Forecast. (2025). Africa cosmetics market size, share, growth, trends & forecast (2024–2033). Retrieved from https://www.marketdataforecast.com
6Wresearch. (2025). Africa cosmetics market overview, opportunities, and forecast 2024–2030. Retrieved from https://www.6wresearch.com
Mordor Intelligence. (2024). Africa cosmetics products market – growth, trends, and forecasts (2024–2030). Retrieved from https://www.mordorintelligence.com
Organisation africaine de normalisation (ARSO). (2023). African conformity assessment program (ACAP): Strengthening quality infrastructure in Africa. Nairobi, Kenya: ARSO. Retrieved from https://www.arso-oran.org
Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf / AfCFTA). (2024). AfCFTA agreement and implementation framework. Addis Ababa: African Union Commission. Retrieved from https://au-afcfta.org
East African Community (EAC). (2023). Draft East African Standard DEAS 334:2023 – Cosmetics — Requirements for labelling and safety. Arusha: EAC Secretariat. Retrieved from https://www.eac.int
Agence des Normes et de la Qualité (ANOR). (2021). Normes camerounaises sur les produits cosmétiques (NC 804 à NC 816). Yaoundé, Cameroun: ANOR. Retrieved from https://www.anor.cm
Kenya Bureau of Standards (KEBS). (2022). Standards and regulatory framework for cosmetic products in Kenya. Nairobi: KEBS. Retrieved from https://www.kebs.org
South African Health Products Regulatory Authority (SAHPRA). (2022). Regulation of cosmetic products and safety requirements in South Africa. Pretoria: SAHPRA. Retrieved from https://www.sahpra.org.za
National Agency for Food and Drug Administration and Control (NAFDAC). (2023). Guidelines for registration of cosmetic products in Nigeria. Abuja: NAFDAC. Retrieved from https://www.nafdac.gov.ng
Organisation mondiale de la Santé (OMS). (2023). Risks associated with the use of skin lightening products containing hydroquinone and corticosteroids. Geneva: World Health Organization. Retrieved from https://www.who.int
Commission européenne. (2024). EU cosmetic products regulation (EC) No 1223/2009 – Prohibited substances and market safety. Brussels: European Commission. Retrieved from https://health.ec.europa.eu
Mboa Paris. (2025). Atelier “Réglementation et compétitivité du secteur cosmétique africain” – Programme du Salon Mboa Paris 2025. Paris: Association Mboa Paris. Retrieved from https://www.mboaparis.com
