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Gabon, La promesse des 15% oubliée: Quand le sous-financement en santé coûte des vies

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Dr. Brice W. OBIANG OBOUNOUAïcha Fall
Par Dr. Brice W. OBIANG OBOUNOUAvec Aïcha Fall
11 octobre 2025
Photo parFrancisco Venâncio @franciscovenanciosurUnsplash

15% en façade, la santé en apnée :  le budget gabonais sous perfusion 

En filigrane

En chiffres

« À ce jour, les ressources globales allouées à la santé au Gabon n’ont pas contribué à améliorer les résultats sanitaires » - Brice Wilfried Obiang Obounou, Financement du système de santé et mortalité maternelle au Gabon.

Ces mots frappent par leur sobriété et leur lucidité. Ils résument vingt années d’efforts contrariés, de budgets en croissance et d’indicateurs toujours fragiles. Le Gabon, pionnier en Afrique centrale pour la couverture sanitaire universelle, n’a jamais tenu son engagement d’Abuja. 15% du budget national devaient être consacrés à la santé, mais le pays plafonne aujourd’hui à 7,8% selon la loi de finances .

Derrière ce chiffre se dessine une contradiction navrante. L’espérance de vie progresse, les infrastructures se modernisent, et pourtant les mères continuent de mourir dans les maternités rurales comme dans les hôpitaux urbains. L’ouvrage de Brice Wilfried Obiang Obounou met en lumière cette fracture entre ambition et réalité, entre symbolique et tangible, révélant le prix humain d’un financement inefficace.

Le serment oublié du continent africain

Photo de Valdhy Mbemba sur Unsplash
Photo de Valdhy Mbemba sur Unsplash

En Afrique, les dirigeants se sont réunis à Abuja en 2001 pour s’engager à consacrer 15% de leurs budgets nationaux à la santé. Ce pacte devait transformer le visage de la santé publique et offrir à chaque citoyen un accès effectif aux soins. Quelques pays à faibles revenus comme le Rwanda, le Malawi ou la Gambie ont dépassé cet engagement, montrant que la richesse n’était pas une condition pour investir dans la vie.

Mais dans de nombreux pays riches en ressources naturelles, les ambitions se sont heurtées à des priorités divergentes et à la complexité des administrations. Les dépenses du secteur restent souvent insuffisantes et orientées vers le fonctionnement plutôt que vers les populations. Les chiffres révèlent une contradiction profonde. Plus un pays est riche en ressources naturelles, moins il semble investir dans la vie de ses populations.

Afrique centrale entre ambitions et réalités

L’Afrique centrale a voulu croire à la couverture sanitaire universelle et à ses promesses. Les institutions se sont multipliées, les plans et programmes se sont accumulés, mais la mise en œuvre se heurte à des limites structurelles et financières. Les dépenses administratives absorbent l’essentiel des budgets, et la prévention comme les soins de proximité restent insuffisants. Le Gabon fut longtemps perçu comme un modèle régional grâce à la création de la CNAMGS (Caisse nationale d'assurance maladie et de garantie sociale) en 2008. Ce dispositif devait offrir un accès équitable aux soins. Dans la pratique, il se heurte à des retards de paiement, à l’exclusion du secteur privé et à la complexité bureaucratique. Les populations vulnérables continuent de payer leurs soins, parfois au prix de dettes ou de renoncements.

Le Gabon et le paradoxe des progrès inachevés

Le budget santé 2025 du Gabon représente 7,8% du budget national, un chiffre qui traduit un décalage entre ambitions et moyens. La majeure partie des fonds est absorbée par l’administration et les charges fixes, laissant les hôpitaux et maternités sous-équipés et les populations vulnérables à la charge de leur propre budget.

Malgré les progrès visibles sur l’espérance de vie et la mortalité infantile, la mortalité maternelle atteint 399 décès pour 100 000 naissances vivantes, signalant une crise qui ne se résout ni par l’augmentation du budget ni par la modernisation des infrastructures. Chaque décès raconte une histoire. Une femme qui accouche seule dans un dispensaire, une autre qui doit acheter ses médicaments, une troisième qui traverse plusieurs villages pour rejoindre un hôpital. Ces vies perdues révèlent le décalage entre dépenses et impact réel.

Quand la santé devient un luxe

Photo de Nappy sur Unsplash
Photo de Nappy sur Unsplash

La couverture sanitaire universelle n’a pas supprimé les paiements directs. Dans les cliniques privées, 60% des femmes assurées par la CNAMGS avancent encore les frais. Les plus pauvres, souvent en province, doivent faire face à des files interminables et à des ruptures de médicaments. Cette fracture sociale et géographique crée un système à deux vitesses. Les riches accèdent aux soins rapidement et efficacement, les autres renoncent ou subissent des retards aux conséquences souvent fatales.

Le chômage féminin élevé, l’insécurité alimentaire et les violences domestiques aggravent cette situation. Les femmes des ménages à faibles revenus hésitent à utiliser les services de santé par peur des frais ou des délais. Ces déterminants sociaux augmentent directement la mortalité maternelle et nourrissent les inégalités.

La prévention, un maillon encore fragile

La prévention ne représente que 21,62 milliards FCFA, soit 15% du budget santé en 2025. Ce financement reste insuffisant au regard des besoins structurels et sociaux qui pèsent sur la population. Vaccinations, suivi de grossesse, dépistages et programmes nutritionnels sont essentiels pour réduire la mortalité maternelle et infantile.

Chaque franc investi dans la prévention pourrait épargner plusieurs vies et réduire les coûts liés aux complications évitables. La priorité donnée au curatif au détriment de la prévention fragilise le système et creuse les disparités entre populations urbaines et rurales.

Réapprendre à investir dans la vie

Il ne s’agit plus seulement de savoir combien le pays dépense, mais comment il dépense. Il faut réorienter le budget vers la prévention, l’accès équitable aux soins et la réduction des inégalités sociales. La santé doit redevenir un pilier du contrat social et non une variable d’ajustement budgétaire.

Les 15% d’Abuja n’étaient pas une statistique mais un engagement humain. Ne pas les atteindre, c’est accepter que la santé reste une question de privilège et que la vie de milliers de mères continue d’être suspendue à la lenteur des budgets.

Le Gabon peut encore transformer sa trajectoire, mais cela nécessite une vision claire, un engagement réel et une allocation efficace des ressources pour que les chiffres se traduisent enfin en vies sauvées et en dignité retrouvée.

À propos des auteurs : Brice est le fondateur de Biangg Consulting, spécialisé dans la défense des droits des patients et l’équité en santé. Aicha Fall est journaliste économique.