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Le paradoxe des femmes éduquées : Quand le chômage devient un facteur de crise sanitaire

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Dr. Brice W. OBIANG OBOUNOUAïcha Fall
Par Dr. Brice W. OBIANG OBOUNOUAvec Aïcha Fall
12 octobre 2025
Photo parAndrae Ricketts @drezartsurUnsplash

Quand l’instruction s’éteint face à l’inactivité : Les mères gabonaises entre savoir et survie

En filigrane

  • Le Gabon affiche un haut niveau d’alphabétisation féminin mais la santé maternelle reste fragile
  • Le chômage féminin constitue le facteur socioéconomique déterminant pour la santé des mères
  • L’insécurité alimentaire, la précarité économique et la santé mentale sont directement affectées par l’inactivité professionnelle
  • L’État agit comme déterminant structurel en influençant le statut socioéconomique par les politiques d’emploi et de soutien social
  • Des politiques de discrimination positive à l’emploi, particulièrement pour les mères seules, pourraient améliorer la santé maternelle et réduire la pression sur le système de soins

En chiffres

  • Taux d’alphabétisation des femmes (15‑24 ans) 92,63 % en 2022 selon la Banque mondiale
  • Taux de chômage féminin 29,41 % en 2021 selon l’Enquête Démographique et de Santé du Gabon (EDSG III)
  • Cas de troubles mentaux recensés : 4 145 en 2022, soit une hausse de 715 cas par rapport à 2020 selon le Centre National de Santé Mentale de Mélen (ces chiffres concernent l’ensemble de la population sans distinction de genre).

L’émancipation des filles par l’éducation a connu des progrès spectaculaires à travers le continent africain au cours des deux dernières décennies. Dans de nombreux pays, les disparités de genre se sont estompées, et l'accès à l'instruction primaire et secondaire s'est considérablement élargi. Toutefois, ces avancées ne se matérialisent pas toujours par des bénéfices sanitaires palpables. La santé maternelle demeure intimement corrélée au statut socioéconomique, qui agrège l'éducation, l'emploi et le revenu.

Plus spécifiquement en Afrique centrale, l’inertie professionnelle féminine et la vulnérabilité économique grévent l’effet protecteur de l’éducation. Cette dynamique est particulièrement prégnante au Gabon où près de 93 % des jeunes femmes affichent un taux d’alphabétisation selon la Banque mondiale (2022), mais le chômage féminin culmine à 29,41 % d'après l’EDSG III (Enquête Démographique et de Santé du Gabon - troisième édition, réalisée en 2021). Ce décalage compromet les retombées de l’instruction et expose les mères à l’insécurité nutritionnelle, à la précarité économique et à une santé mentale fragilisée. Le Centre National de Santé Mentale de Mélen a répertorié 4 145 cas de troubles mentaux en 2022, soit une augmentation de 715 cas par rapport à 2020, tous âges et sexes confondus. Ce phénomène souligne une susceptibilité croissante, particulièrement chez les femmes en situation de grande précarité.

L’interaction de ces facteurs met en évidence que le simple accès à l’éducation ne suffit pas à sanctuariser les femmes, et que des interventions économiques et sociales ciblées sont impératives pour améliorer concrètement la santé maternelle.

L’instruction captive dans les chaînes de la précarité

Si l’éducation constitue un socle fondamental du développement et de l’autonomie, elle ne protège pas automatiquement la santé des femmes. Au Gabon, de nombreuses mères instruites restent exposées à des conditions de vie précaires. La capacité à lire et à écrire ne suffit pas à réduire les risques sanitaires liés à la maternité ni à assurer un accès régulier aux soins. Les femmes instruites mais sans emploi subissent les effets conjugués de l’insécurité économique et de l’absence de soutien social, ce qui réduit leur résilience face aux aléas de la vie. Le décalage entre niveau d’éducation et santé maternelle illustre que d’autres facteurs, notamment la stabilité financière et la sécurité alimentaire, jouent un rôle crucial et dépassent le cadre de l’instruction scolaire.

En outre, l’éducation des femmes améliore certes les connaissances en matière de santé, mais sans emploi ni revenus stables, ces acquis restent théoriques. Les mères ne peuvent pas toujours mettre en pratique les recommandations de prévention ou accéder aux soins nécessaires. L’écart entre instruction et réalité économique crée une forme de vulnérabilité structurelle, où les connaissances et compétences ne suffisent pas à transformer la santé en protection tangible.

Le savoir sans le pain : maternité en suspens

Le chômage féminin au Gabon agit comme un facteur clé de vulnérabilité. L’absence d’emploi régulier entraîne une précarité économique qui se répercute directement sur la santé des mères et de leurs enfants. Les femmes au chômage subissent une insécurité alimentaire chronique, un stress permanent et une exposition accrue aux troubles psychiques.

Bien que les données spécifiques sur la dépression périnatale ne soient pas consolidées à l’échelle nationale, les autorités sanitaires gabonaises alertent sur une augmentation des troubles psychiques chez les femmes en situation de précarité, notamment en période de maternité. Cette situation met en évidence le lien direct entre inactivité professionnelle et santé maternelle.

La santé des femmes n’est donc pas seulement une question d’instruction mais également de stabilité économique et de statut social, deux dimensions étroitement liées à l’emploi.

La vulnérabilité due au chômage se renforce dans les zones urbaines où le coût de la vie est plus élevé. Même les femmes diplômées et qualifiées peinent à trouver des emplois stables, ce qui les place dans une situation antithétique : instruites mais économiquement dépendantes, elles sont exposées à des risques accrus pendant la maternité. Ce phénomène souligne l’importance de politiques publiques qui allient formation, insertion professionnelle et accompagnement social pour réduire les inégalités sanitaires.

L’État gabonais comme levier structurel

Les politiques publiques jouent un rôle central dans la structuration du statut socioéconomique et par conséquent de la santé des femmes. L’État influence directement l’accès à l’emploi, aux ressources économiques et aux services de santé, ce qui fait de lui un acteur institutionnel majeur dans la configuration des inégalités sanitaires. Au Gabon, les programmes existants pour soutenir l’emploi des femmes et protéger les mères seules restent fragmentaires et insuffisants pour transformer les acquis éducatifs en bénéfices sanitaires tangibles. Renforcer les dispositifs de soutien aux familles monoparentales, créer des emplois adaptés aux besoins des femmes et garantir un accès facilité aux soins peuvent réduire les inégalités et améliorer durablement la santé maternelle.

En parallèle, les politiques fiscales et les dispositifs sociaux conditionnent la capacité des familles à sécuriser leur niveau de vie. Les subventions limitées, les programmes ponctuels et l’accès inégal aux services sociaux font que l’impact des politiques publiques sur la santé maternelle est souvent faible. Un engagement plus systématique et intégré pourrait permettre à l’État de jouer un rôle véritablement protecteur, transformant l’éducation en un levier efficace de santé et de bien-être pour toutes les femmes.

Famines silencieuses et cœurs en déficit

La précarité économique a des effets directs et profonds sur la santé maternelle. L’insécurité alimentaire entraîne des carences nutritionnelles qui affectent la grossesse et le développement des nourrissons. Le stress chronique et les contraintes financières sont des facteurs associés aux risques de dépression périnatale. Ils inhibent la faculté des mères à chercher et recevoir des soins.

Les femmes issues de ménages à faibles revenus hésitent à recourir aux services de santé par crainte des frais directs et des longues attentes. Ces facteurs combinés traduisent un cercle vicieux où la pauvreté alimente la vulnérabilité sanitaire, et où la santé fragile des mères perpétue la précarité des familles.

La dimension psychologique est également cruciale. L’incertitude économique et la dépendance financière créent une pression mentale constante, qui affecte non seulement la santé mentale mais aussi la capacité des femmes à prendre des décisions concernant leur santé et celle de leurs enfants. Ce mécanisme renforce les disparités et montre que l’éducation, sans soutien économique et social, ne suffit pas à assurer le bien-être des mères.

Repenser les stratégies pour la santé maternelle

Pour améliorer durablement la santé maternelle au Gabon, il est essentiel de replacer le chômage féminin au centre des politiques publiques. L’éducation, l’emploi et le soutien social doivent être combinés pour offrir une protection efficace aux mères. Les politiques de discrimination positive, en particulier pour les mères seules et les femmes du secteur informel, peuvent réduire le fardeau économique, améliorer l’accès aux soins et stimuler la participation économique des femmes.

Ces mesures permettraient non seulement de renforcer la santé des mères mais également de réduire la pression sur le système de soins et de contribuer au développement économique global du pays.

Parallèlement, il est nécessaire de concevoir des programmes intégrés qui relient formation professionnelle, insertion sur le marché du travail et accompagnement psychologique. Une approche multidimensionnelle permettrait d’assurer que les gains en alphabétisation se traduisent concrètement en amélioration de la santé maternelle, en autonomie économique et en résilience sociale. Cette stratégie transforme l’éducation et l’emploi en véritables leviers de protection sanitaire pour les femmes gabonaises.

À propos des auteurs : Brice est le fondateur de Biangg Consulting, spécialisé dans la défense des droits des patients et l’équité en santé. Aicha Fall est journaliste économique.